Le père Henri Planchat et quatre de ses compagnons martyrs (quatre religieux de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie – Pères de Picpus), assassinés le 26 mai 1871 par des partisans de la Commune, ont été béatifiés en l’église Saint-Sulpice de Paris, le 22 avril 2023.
Cette reconnaissance du martyre intervient 151 ans après leur pieuse mort.
Du journal La Croix par Loup Besmond de Senneville (à Rome) – 25 novembre 2021
Henri Planchat, Religieux de Saint-Vincent-de-Paul, ainsi que Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frezial Tardieu, tous les quatre religieux de Picpus, ont donc été assassinés « en haine de leur foi », juge le Vatican.
« L’apôtre des faubourgs »
Tous font partie des dix religieux exécutés rue Haxo, dans le 20ème arrondissement de Paris, le 26 mai 1871, après une détention de près de deux mois. C’est là que se trouvaient les postes de commandement des fédérés, nom qui désignait les soldats insurgés de la Commune de Paris. Ils seront assassinés et leurs corps jetés dans une fosse commune. L’insurrection de la Commune prendra fin le 28 mai, soit deux jours plus tard. En 1938, le diocèse de Paris inaugurera en leur mémoire la paroisse Notre-Dame-des-Otages.
→ RÉCIT. À Paris, des hommages en mémoire des victimes religieuses de la Commune
Le père Henri Planchat naît en 1823 dans une famille aisée et choisit de s’engager, peu après son entrée au séminaire, auprès des plus pauvres, dans le quartier parisien de Grenelle. Surnommé « l’apôtre des faubourgs », sa cause de béatification a été introduite dès 1896, mais a été freinée au XXe siècle avant d’être relancée dans les années 1990.
« Il a tout quitté pour vivre avec et comme les pauvres »
« Le père Planchat est l’image du prêtre comme en parle le pape François. Né dans un milieu favorisé, il a tout quitté pour vivre avec et comme les pauvres », expliquait en juin à La Croix le postulateur de la cause, le père Yvon Sabourin. « Comme le Christ, il a versé son sang injustement mais sans jamais condamner ses agresseurs. » Fin mai, une procession célébrant la mémoire des religieux assassinés avait été prise à partie, à Paris, provoquant un dépôt de plainte du diocèse.
Ladislas Radigue – né Armand Radigue, également en 1823 –, originaire de Normandie, fut notamment le maître des novices des picpuciens avant de devenir prieur. Au tout début des événements de la Commune, il demanda à la plupart des religieux habitant avec lui de quitter Paris, et y demeura avec quelques membres de la congrégation.
Né Jules Tuffier en 1807, Polycarpe Tuffier vit le jour en Lozère. Il fut ordonné prêtre juste avant la révolution de 1830. Envoyé près de Rouen comme aumônier des sourds et supérieur de collège, il devient en 1863 procureur de la Maison principale des picpuciens.
Marcellin Rouchouze (Jean-Marie) naît en 1810, à Saint-Julien-en-Jarez, dans la Loire. Il fut ordonné prêtre à 42 ans, après avoir visité le curé d’Ars. Appelé en 1865 aux fonctions de secrétaire général de sa congrégation, il fut arrêté le 12 avril 1871.
Né en Lozère en 1814, le Père Frézial Tardieu entra chez les religieux de Picpus en 1837. Particulièrement investi dans l’éducation, il est décrit comme un homme humble et aimé de ses élèves.
Dans le processus de canonisation, la reconnaissance du martyre d’une personne ouvre directement à la béatification, sans exiger de miracle. En revanche, un miracle devra bien être constaté pour que les cinq martyrs de la Commune puissent être considérés comme des saints.
La date de béatification du Père Henri Planchat et de ses compagnons n’a pas été annoncée. Depuis plusieurs années, c’est au diocèse d’origine qu’il convient d’organiser la cérémonie de béatification.
Conférence donnée le 27 mai par le Yvon Sabourin postulateur de la cause du Père Planchat: son histoire, sa vie son apostolat et son martyre le 26 mai 1871. Cette conférence a été réalisée par KTO et diffusée le 1er juin 2021. Pour voir la vidéo, cliquez sur l’image.
Henri Planchat naît dans une famille très pieuse, dont le père est magistrat. Celui-ci est ensuite envoyé en poste à Chartres, à Lille puis nommé président du Tribunal d’Oran en Algérie. Malgré l’éloignement de sa famille, le jeune Henri poursuit à partir de 1837 ses études au collège Stanislas de Paris où il reste trois ans, puis les poursuit au collège de l’abbé Poiloup à Vaugirard, alors quartier périphérique en dehors de Paris. Il fait ses études de droit, comme le voulait son père, mais à peine son diplôme d’avocat en poche, il entre au séminaire d’Issy-les-Moulineaux.
Durant ses études de théologie, il participe à l’une des Conférence de la Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul présidée par Jean-Léon Le Prevost. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de l’Institut des Frères de St-Vincent de Paul, fondé par Le Prevost en 1845, et qu’il découvre sa vocation. Il s’occupe alors des pauvres, de la bibliothèque de la paroisse et collabore au patronage des Frères de Saint Vincent de Paul. Il est ordonné prêtre le 21 décembre 1850. Il se présente trois jours plus tard devant Jean-Léon Le Prevost pour être accueilli en tant que premier prêtre au sein de la nouvelle congrégation des qui ne comptait jusqu’alors que des frères.
Dès lors, il se dévoue aux populations laborieuses de Grenelle et de Vaugirard qui sont éloignées de l’Église et se montrent souvent hostiles aux prêtres. Mais son charisme, simple et humble, lui permet de conquérir le cœur des familles de ce milieu ouvrier. Son zèle débordant l’amène cependant aux limites de sa santé. S’étant dévoué depuis plusieurs années déjà, et plus encore dans sa première année de ministère, épuisé, il doit partir se reposer en Italie quelques mois. De retour en avril 1853, avec les Frères de son Institut il poursuit son apostolat au patronage Notre-Dame de Grâces dans la formation des garçons tout en continuant à visiter les malades et assister les pauvres. Le succès de son action pastorale provoque toutefois la susceptibilité du curé de la paroisse de Grenelle. Pour calmer les choses, son supérieur, M. Le Prevost, l’envoie deux ans à Arras assister l’abbé Halluin qui dirige un orphelinat avec des ateliers d’apprentissage.
Le père Planchat
par Victor Dugast
Le prêtre du peuple, ou la vie d’Henri Planchat
par Maurice Maignen
Lettres du P. Henri Planchat
Sketch of the life of Father Henri Planchat
by Maurice Maignen
De retour à Paris en 1863, il fut désigné comme aumônier du Patronage Sainte-Anne dont les Frères de St-Vincent de Paul avaient assumé la direction, en mars 1862, sur les instances de M. Decaux, nouveau président des Conférences de Paris et ami intime de M. Le Prevost. Cette Œuvre, fondée et patronnée par la Société de St-Vincent de Paul, groupait alors près de 300 enfants et jeunes gens, mais se trouvait dans l’impossibilité de prendre son plein essor. Confinée dans le rez-de-chaussée d’une modeste maison, au 81, rue de la Roquette, elle ne disposait ni de locaux suffisants, ni surtout de chapelle. Devant l’état des lieux, il comprit qu’il devait agir. Aussi insista-t-il pour que le Patronage Sainte-Anne fût transféré dans sa résidence définitive, un mois plus tard, en la fête de l’Assomption de Notre-Dame. Par sa facilité à toucher le cœur de généreux bienfaiteurs, de nouveaux locaux sont aménagés rue des Bois: salles de jeux, gymnase, ateliers pour la formation des apprentis et, surtout, une grande chapelle pour l’action pastorale qu’entreprend le Père Planchat.
Comme à Grenelle, il sillonne tout le quartier de Charonne. Si son but primordial est de prendre contact avec les familles de ses patronnés, dont la persévérance ne saurait être assurée sans le concours de leurs parents, il découvre, par surcroît, l’immense détresse qui règne en de nombreux foyers chargés d’enfants, réduits à une extrême pauvreté, privés de tous secours religieux. Cependant, il poursuit activement, avec les confrères de sa communauté, l’organisation du Patronage Ste-Anne, ne reculant devant aucun effort pour en faire cette « Maison d’œuvres » accueillante et bienfaisante pour tous. Près de cinq cents garçons et apprentis qui y sont formés. Le Père Planchat se préoccupe de leur formation chrétienne en leur permettant de recevoir les sacrements de la confession et de la première communion.
Son action ne se limite pas aux enfants et adolescents, cet apôtre, que l’on surnomme parfois le « chasseur d’âmes », veut permettre à ceux qui sont exclus de la pratique religieuse de pouvoir participer aux sacrements. Il régularise les mariages, en célèbre des centaines, sans négliger de leur avoir de quoi fêter joyeusement ce grand jour: habits, nourriture… Il favorise la communion fréquente – chose qui n’était pas commune à l époque – pour cela il prépare la communion des adultes. Connu et aimé dans ce faubourg, il secourt les pauvres en ne négligeant personne. De tous les étrangers habitant le quartier, les ouvriers italiens étaient les plus nombreux, abandonnés à eux-mêmes « comme des brebis sans pasteur ». Grâce à son long séjour de repos en Italie, le Père Planchat connaissait assez leur langue et leur mentalité pour les aborder aisément, s’entretenir avec eux de leurs affaires et mettre à leur disposition les trésors de sa charité. Il sema donc ses invitations, au gré de ses randonnées dans les ruelles environnantes, conviant les plus chrétiens à une sainte propagande auprès de leurs connaissances.
Lorsque la guerre de 1870 éclate, il s’associe au mouvement patriotique et charitable, suscité par la guerre, en faveur des blessés évacués dans la capitale et des soldats chargés de sa défense. Sollicité par M. Decaux, président de la Société de St-Vincent de Paul, il établit une ambulance dans son Œuvre. Dès la mi-septembre en effet, le quartier de Charonne avait été envahi par des bataillons de mobiles. Installés dans des baraques de fortune, où ils ne pouvaient guère séjourner que la nuit, ceux-ci erraient le plus souvent, entre les exercices, exposés à tous les dangers de la rue. Le désœuvrement de ces hommes qui, bientôt sans doute, retourneraient au feu, émut le cœur du Père Planchat. Aussi résolut-il de prendre contact avec leurs chefs, afin d’obtenir l’autorisation de visiter chaque jour leurs troupes et de mettre à leur disposition maison, jardin, gymnase et chapelle de Sainte-Anne. Une œuvre nouvelle venait de naître : le Patronage des Mobiles.
Cet apostolat auprès des mobiles ne plut pas aux chefs de la Garde nationale. Un jour, lisons-nous dans son journal, 200 gardes nationaux armés arrivèrent à Ste-Anne avec leur capitaine qui désirait savoir ce que venaient faire les mobiles dans notre chapelle. “Prier, chanter, entendre une conférence, au lieu de hanter les mauvais lieux”. À cela le capitaine répondit : « Si ces sermons plaisent aux chefs des mobiles, ils ne nous plaisent pas à nous ». Le Père Planchat ne fut ni ébranlé par la mise en demeure ni par l’attitude du capitaine. L’issue de cette nouvelle attaque contre Sainte-Anne était plutôt inattendue. Désormais, jusqu’aux premiers jours de la Commune, notre apôtre continuera son ministère au quartier de Charonne, sans être autrement inquiété.
Bien qu’Henri Planchat fut étranger aux luttes politiques, le jour même du début de l’insurrection de la Commune dans Paris, le 18 mars, une bande d’insurgés envahissaient le patronage Sainte-Anne sous prétexte d’y saisir des armes. Ils fouillèrent la maison de fond en comble, mais ils ne trouvèrent point d’armes. Totalement investi dans son ministère pastoral auprès des pauvres et préoccupé par le bien des enfants et des adultes qu’il préparait aux fêtes pascales, le Père Planchat ne songea même pas à prendre les mesures de prudence qui semblaient s’imposer, ou du moins à modérer les ardeurs de son zèle.
Le Jeudi Saint, 6 avril, un groupe de fédérés pénétra à Sainte-Anne, un commissaire, revolver au poing, lui notifia alors son arrestation. Il fut conduit à la mairie du XXe où il subit un interrogatoire. Le Vendredi Saint, on lui signifie son transfert à la Préfecture de Police. C’est là que le Père Planchat va demeurer, rigoureusement seul, jusqu’au jeudi de Pâques, 13 avril. Le jeudi 13 avril, avec d’autres religieux prisonniers qui l’ont rejoint, ils sont transférés à la prison Mazas. Vingt-cinq ecclésiastiques, parmi lesquels le Père Planchat et les quatre Pères de Picpus. Pendant trente-neuf jours, ils y vivront la même vie qu’ils ont menée au Dépôt de la Préfecture, et dans des conditions identiques. Aucun d’eux n’aura la consolation de célébrer la sainte messe. Du fond de sa prison il écrira plusieurs lettres qui nous révèlent une fois de plus sa délicate bonté, en même temps que sa constante préoccupation du bien spirituel des âmes.17
Le vendredi 26 mai, la Capitale vit des heures dramatiques. Le combat devient plus intense entre les Versaillais qui ont gagné presque tous les quartiers et les fédérés qui se replient sur les derniers bastions et barricades. Au début de l’après-midi, le Père Planchat, avec neuf autres ecclésiastiques et une quarantaine de civils furent extraits de la prison par le Colonel Émile Gois et furent conduits de la prison de la Grande Roquette, à travers les rues de Belleville, jusqu’à la Villa Vincennes au 85 rue Haxo. Au long du chemin des voix dans la foule les accueillirent avec des injures et des cris de mort. À six heures, lorsque les prisonniers arrivèrent rue Haxo, la foule s’était regroupée dans l’allée frappait leurs victimes, les bousculant et les entraînant jusqu’à la murette du terrain vague.
Soudain, un coup de revolver donna le signal du massacre. Une fusillade désordonnée éclata aussitôt. Cette tuerie dura près d’une demi-heure . Ainsi mourut, le 26 mai 1871, dans la quarante-huitième année de son âge, le Père Mathieu-Henri Planchat, Prêtre de la Congrégation des Frères de St-Vincent de Paul, modèle de parfaite humilité.
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